Au moment où j'ai précommandé ce jeu, j'étais en plein dans la lecture des tomes fabuleux qui composent la saga encore inachevée du Trône de Fer. Comme tout le monde, d'ailleurs j'en ai honte, j'ai mis le pied dans cet univers grâce à la série de HBO. On m'avait souvent enjoint de lire les bouquins, mais personne n'avait su me vendre correctement le produit. J'avais soupé de l'héroïc fantasy et de toute façon, je considérais Tolkien et son Silmarillion comme le top niveau inaccessible de la discipline ; je n'étais donc plus intéressée par ce genre et mes affections littéraires s'étaient tournées vers d'autres dieux.
Puis la série est arrivée, et l'aubaine était trop bonne de goûter sans effort cette saga tant vantée. Et là, j'ai découvert toute la puissance d'un scénario implacable associé à un monde sombre et sans concession, à mille lieues des contes de fées et autres gestes chevaleresques dont je croyais faite la fantasy dans sa splendeur décadente.
J'ai englouti les épisodes de la première saison avec une voracité que j'imagine semblable à la vôtre, puis, dans l'entre-saison, j'ai piqué les intégrales de mon frère afin de poursuivre un récit dont le suspens ne me permettait pas de supporter une année d'attente fébrile. J'ai bien fait à plus d'un titre : non seulement la traduction française est une merveille dont j'ai joui à chaque instant, mais en plus, si la première saison avait su rester fidèle à l'œuvre originale à quelques exceptions près (notables, mais rares), la seconde souffre de mille changements que mon oeil avisé a au mieux considéré comme des simplifications malséantes, au pire comme des trahisons inexcusables. Je ne rentrerai pas ici dans une critique ou pire, un débat, car mon opinion ne saurait varier quels que soient les arguments employés pour me détromper, mais je ne saurais qu'inciter tout le monde à se faire sa propre idée en dégustant les écrits de M. Martin himself, ou mieux, la délicate et sublime traduction de M. Sola devant lequel je m'incline très, très bas.
C'est pendant cette haletante lecture dont je dévorais sans peine 200 pages par jour que j'ai appris l'annonce d'un RPG développé par les Français de Cyanide en amont de la série télévisée. Je ne pouvais pas passer à côté de la conjugaison de tous mes plaisirs du moment : RPG occidental + Westeros = NEED. Voilà l'équation einsteinienne qui me fit précommander le jeu sur Amazon, réflexe grâce auquel je l'obtins pour un prix complètement dérisoire dont Steam est encore loin : 32€. Ce tarif excessivement bas ne laissa pas de faire naître en moi doutes et inquiétude, d'autant que l'accueil américain du soft, précédant celui de nos contrées, était relativement frileux. Je me lançai pourtant à corps perdu dans l'installation du jeu, car mes pulsions rôlistiques s'ennuyaient ferme depuis Les Royaumes d'Amalur : Reckoning (paix à son âme).
Quelques réglages des graphismes et contrôles plus tard, alors que le générique musical de la série télé accompagnait agréablement l'interface sommaire mais suffisante du titre, je démarrais une Nouvelle Partie...
Mors et son chien, Chien.
Mors est un frère noir : il appartient à la Garde de Nuit depuis près de 20 ans et a su gagner la confiance du Commandant Mormont, c'est pourquoi il est maintenant chargé de retrouver les déserteurs et de les écourter comme le veut la règle. Alester est un prêtre rouge qui revient de Braavos pour enterrer son père, un noble seigneur dont il est l'héritier légitime bien que son titre soit convoité par un frère bâtard sanguinaire au passé trouble.
Le premier est chargé par la Main du Roi, Jon Arryn, de protéger une mystérieuse jeune fille. Le second plaide sa cause auprès de la reine Cersei, qui ne tarde pas à l'utiliser pour mener à bien de sombres missions.
Ces deux personnages aux honnêtes motivations, qui ne se sont jamais rencontrés et que des milliers de kilomètres séparent, participent en fait à la même grande histoire, chacun d'un côté de la barrière qui sépare, non le Bien et le Mal, mais l'intérêt d'une seule contre celui des Sept Couronnes.
N'en jetez plus, je sais, j'ai un talent inné pour rendre un pitch intéressant... d'autant que celui-ci l'est vraiment ! Le scénario, qui débute juste avant le premier tome du Trône de Fer, s'inscrit parfaitement dans l'univers non manichéen de l'auteur et propose une narration croisée qui permet d'évoluer alternativement dans les bottes de Mors et la cape d'Alester, reprenant ainsi astucieusement de schéma de l'œuvre originale, dans laquelle chaque chapitre est l'occasion de suivre un pan de l'histoire en empruntant la focalisation d'un personnage. Grâce à cette astuce littéraire, Martin peut maîtriser le rythme de son récit tout en créant des cliffhangers multiples.
L'enterrement de lord Sarwick, le père d'Alester.
En articulant son aventure comme l'a fait l'auteur, Cyanide démontre une farouche volonté de proposer une aventure crédible dédiée aux fans de la première heure et à tous les nouveaux nés accouchés par HBO. Et des fans, on voit qu'ils en sont, chez Cyanide ! L'univers est maîtrisé, un Codex permet de trouver des informations sur le background ô combien riche du Trône de Fer, de nombreux PNJ cités ou présents appartiennent aux romans et les références à l'Histoire de Westeros sont fréquentes. Les développeurs français ont été aussi fidèles envers l'œuvre de Martin que les Polonais de CD Projekt avec celle de Sapkowski, et à caresser les connaisseurs dans le sens du poil, ceux-ci ont une folle envie d'aimer le jeu.
Mais voilà, celui-ci ne nous aide pas, principalement à cause de son game design totalement défaillant. Au début du jeu, on nous donne le choix entre trois styles de combat pour chaque personnage, qui là encore se réfèrent intelligemment au monde du Trône de Fer : il y a de quoi être emballé(e), à l'idée de jouer un Magnar zoman ou un Danseur d'Eau ! Mais les combats, on va les attendre. Longtemps. Ils sont plus que rares au cours de l'aventure, qui consiste le plus souvent en une succession de dialogues interminables et d'aller-retours entre un point A et un point B (l'ironie du sort veut qu'heureusement, les zones ne soient pas bien grandes...).
Les quelques combats, mollassons, s'inscrivent tous dans le cadre du scénario : ne comptez pas farmer pour augmenter votre puissance, les brigands, gardes et autres mercenaires qui vous attaquent ne repoperont pas après que vous leur ayez percé les entrailles. Un script en chasse un autre, il est donc impossible de lambiner gaiement en enchaînant les combats pour débloquer des compétences : vous ne pourrez le faire que lorsque le scénario aura prévu votre gain de niveau. Celui-ci se fait le plus souvent au terme d'un chapitre (comme par hasard), et pourtant la réussite d'un combat ou d'une quête donne des points d'expérience : un système totalement hypocrite qui aurait gagné à dire son nom au lieu de se réfugier derrière les codes du RPG.
La demeure Sarwick, un bien joli décor, théâtre d'un énigmatique complot...
Et finalement, c'est de là que viennent tous les problèmes du titre : Cyanide a fait un RPG de ce qui aurait dû être un épisode spin-of de la série. L'aventure que le studio propose est trop linéaire, les dialogues trop écrits, les quêtes secondaires trop inexistantes, les environnements trop limités, les combats trop maladroits. Le soft tient davantage du film interactif que du jeu vidéo. Je me rappelle avoir pesté contre la longueur des phases de dialogues, malgré leur indéniable qualité et les choix moraux dont elles sont parsemées, avant de me résoudre à les zapper tout simplement pour espérer un peu d'interactivité, ce qui est un comble dont je ne suis pas fière, d'une part parce que mon critère de sélection principal a toujours été le scénario, et d'autre part parce que les doublages français sont tout bonnement excellents, notamment pour le personnage d'Alester qui a la classe internationale grâce à son timbre grave ultra charismatique.
Mais si les comédiens vocaux sont irréprochables, il n'en va pas de même des sous-titres, qui sont littéralement constellés de fautes d'orthographe ! Le jeu a presque réussi à détrôner Okami sur PS2 dans mon top des sous-titres les plus dégueulasses de l'Histoire du jeu en VF, c'est dire... L'auteur des dialogues du jeu n'a absolument aucune notion de la conjugaison des verbes du troisième groupe et de l'impératif. Il y a une ineptie toutes les deux répliques ; c'est vraiment la honte du jeu vidéo français et, puisque l'on ne peut ici décemment pas reporter la responsabilité sur une agence de localisation, cette médiocrité donne l'image très négative d'un studio qui ne sait même pas écrire dans sa propre langue. Si Cyanide cherche une correctrice, franchement, je suis leur homme.
Le Lord Commandant Mormont ressemble trait pour trait à l'acteur de la série : un grand point fort du jeu.
Malgré tout, j'ai fait énormément d'efforts pour aimer ce jeu. Et certains aspects étaient d'ailleurs très réussis. J'ai parlé du doublage français, mais je peux aussi évoquer la direction artistique et plus globalement les graphismes du titre. Les visages, notamment, sont très bien modélisés et texturés ; ils manquent certes d'expressivité mais citez-moi donc un jeu où ce n'est pas le cas ? Les décors sont trop petits mais agréables à arpenter, sauf les phases de souterrains qui sont d'un ennui mortel car faussement labyrinthiques : un couloir eût mieux faire l'affaire. Le gameplay contient aussi quelques bonnes idées : le contrôle du chien par Mors permet de faire des assassinats subtils ou de suivre des pistes grâce à l'odorat de l'animal. Les quelques quêtes secondaires (rarissimes) servent une ambiance sombre plutôt bien retranscrite quoi que trop soft par rapport à l'œuvre originale ; elles permettent de donner des traits de personnalité, qui confèrent des bonus, à nos personnages. Ceux-ci sont d'ailleurs attachants dans leurs histoires et leurs enjeux respectifs, on a envie de savoir s'ils vont finir par se rencontrer ou même se combattre.
Hélas, le jeu est plombé par son système de combat qui, lorsqu'enfin il sert à quelque chose, se révèle balourd en diable. Pour résumer le bousin, on débloque des compétences sur un arbre choisi en début d'aventure parmi trois styles martiaux distincts, et pendant le combat, on peut ralentir le temps pour choisir les prochaines attaques spéciales que le personnage principal, ou son compagnon, va effectuer. L'idée n'est pas mauvaise, mais le résultat est aussi peu sexy visuellement que propice à la tactique. Il est en effet peu pratique de passer d'un personnage à l'autre en plein assaut tout en assurant des combos qui échouent assez souvent par la magie d'un lancer de dé foireux. On est ici beaucoup plus près d'un affrontement old school à la Drakensang que d'une baston dynamique de sorceleur, et ce n'est guère flatteur pour le joueur.
L'interface de combat est vieillote et les animations raides...
D'ailleurs la sensation de montée en puissance est inexistante : les armes et pièces d'armures sont terriblement chères dans les boutiques, et le loot ne permet pas de renouveler son équipement très souvent. Il est donc utile de se fournir en potions chez les alchimistes, car certains combats peuvent être difficiles lorsque trop d'ennemis nous encerclent. En cas de mort de l'équipe, le Game Over est immédiat, il ne reste qu'à charger sa dernière sauvegarde, mais attention : le jeu utilise un système de sauvegarde auto ! Parfois toute proche, parfois lointaine, de toute façon vous n'avez pas le choix puisque la sauvegarde rapide ne sert qu'en cas de chargement rapide. Il vous faudra donc sauvegarder "en dur" si vous souhaitez laisser en plan votre partie sans risquer une indésirable perte de temps.
Rhaaah, même encore aujourd'hui, après tout le fiel que je viens de cracher sur Game of Thrones, j'ai envie de l'aimer, du fond du coeur. Pourtant, la dernière fois que j'ai joué (je devais en être au chapitre 8 ou 9), je suis tombée sur une énigme, et là, ça a été la cerise qui a fait déborder le vase. Je n'ai pas eu envie de réfléchir car le jeu ne me stimulait pas suffisament pour que mobilise l'once d'un neurone à cette tâche. J'ai quitté. Et je n'ai jamais relancé le jeu. Parce que ce n'était pas un jeu mais un épisode inédit de la série télé avec moins de boobs. Parce que je voulais avoir l'impression d'agir et pas seulement de regarder, comme le laisse entendre la promesse d'un RPG.
La tentative de Cyanide est honorable et l'univers de Martin y est traité avec beaucoup d'égards, mais le studio n'aurait-il pas mieux fait d'en extraire un jeu d'aventure type point&click ? Il aurait ainsi évité les écueils cités plus haut et pu sortir le jeu sur des plates-formes plus grand public. Après tout, Game of Thrones n'est pas à la mode qu'auprès des geeks qui possèdent un bon PC ou une console HD...